VIOLENCES SENTIMENTALES
"J’ai rencontré, il y a près de vingt ans, Philippe Perrin, à l’occasion d’une biennale à Venise, dans le seul night club de la sérénissime. Philippe m’a assailli, étourdi de paroles, complimenté puis contesté, tapé dans le dos amicalement puis maladroitement, involontairement il m’a carrément giflé avant de trop en faire pour être sûr d’obtenir un pardon explicite… J’ai alors commencé à regarder ce que proposait cet artiste encombrant et fougueux. J’ai découvert qu’il était fasciné par l’image des mauvais garçons. Il avait envie de les aimer, de les trouver beaux, son art sera de révéler le style show off du jeune homme de mauvaise vie, et cela sans peur des poncifs… Les images se veulent évocatrices d’un scénario éculé et fatal. Pour établir sans ambiguïté sa sympathie pour ses héros il décide de les incarner et, tel un acteur de série B, avec humour et empathie, il les personnifie, les joue, les croit. Et, il arrive à ses fins, nous arrivons à avoir de la sympathie pour un boxeur de pacotille, nous sommes prêts à suivre les aventures de Starkiller, héros de BD qui n’a pas froid aux yeux, sorte de James Bond sans foi ni loi derrière lequel se profilerait… Philippe Perrin. Il a même convaincu l’architecte que je suis de dessiner la maison de ce super badman : une folie de 400 mètres de long, en mer, accessible et évacuable illico presto par « cigarette 1000 chevaux », par hélicoptère ou, c’est la moindre des choses, par sous-marin personnel…
La fascination de Philippe pour les personnages et les signes du mal va croître et embellir les cimaises des rencontres d’art tous azimuts… La photographie raconte les histoires mais les objets aussi, toujours à la recherche du brutal raccourci d’une narration, d’un déclic visuel qui pourrait être le début ou la fin d’une fiction, Philippe a toujours une addiction pour le trop : alors, les calibres passent du millimètre au mètre ; les surins n’intimident plus en se plantant sur une table de poker mais sur les terrasses des piscines de la Riviera; les poings américains sont assez grands pour servir de collier d’esclave à des quintuplés quinquagénaires (ainsi devenus siamois !) ; la BM criblée de Mesrine est starifiée, clonée, travail de mémoire pour rappeler que la police française a une opinion claire sur l’adage «la fin justifie les moyens» ; le gramme de coke devient kilogramme pour planter et éterniser l’inoxydable lame Gillette devenue monument des camé ; la couronne d’épines, plus objet de torture que jamais, rappelle le supplice du plus fameux des hors-la-loi…
Ne croyez pas que ces objets de violence pérennisés sont devenus inoffensifs, ils ont simplement changé de cibles : ils visent le cœur."
Jean Nouvel